Article modifié le 5 mars 2025
Le 23 août 1939, rompant tous ses engagements, l’URSS de Staline signe avec les nazis allemands un pacte de non-agression mutuelle [1]. Huit jours plus tard l’Allemagne, libérée du risque soviétique, envahit la Pologne qui sera attaquée 17 jours après par l’URSS. On connait la suite…
Depuis le 12 février 2025, Les Etats-Unis de Donald Trump, renversant toutes leurs alliances, engagent avec le monstre Poutine un processus identique, proclamant le « grand bénéfice qu’il y aura un jour à travailler ensemble ».
Le renversement est total : dénonciation de l’absence de liberté en Europe [2] (à comparer avec la liberté en Russie !), intervention violente dans les campagnes électorales européennes au profit des partis pro-russes, reproche à l’Ukraine d’avoir « commencé cette guerre » et d’être une dictature (Poutine est au pouvoir depuis 25 ans et ses opposants sont morts… !), et lui réclamant une indemnisation illimitée pour sa défense, selon les codes de la Mafia [3].
Le 18 février, Marc Rubio, secrétaire d’état, enfonce le clou et propose « de jeter les bases d’une coopération future (avec la Russie) sur des questions d’intérêt géopolitique mutuel et sur les opportunités historiques en matière d’économie et d’investissement qui résulteront d’une fin réussie du conflit en Ukraine » [4]. Il obtient immédiatement un accord total de la Russie !
Le comble : à l’ONU, les Etats-Unis votent avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord pour s’opposer à qualifier la Russie « d’agresseur » !
Le 28 février, D. Trump et son vice-président humilient Le président Zelenski dans une scène odieuse soigneusement montée pour lui extorquer une rançon sans lui promettre aucune protection. Même la mafia n’ose pas. Et vexé comme un pou, D.Trump interrompt sans préavis les livraisons d’armes à l’Ukraine, le partage des renseignements et les actions cyber vers la Russie.
Vladimir Poutine a annoncé à Munich le 10 février 2007, et commencé, une guerre hybride contre l’Europe et les USA, une guerre devenue militaire en Géorgie en 2008, en Ukraine en 2014, puis étendue en 2022 [5]. Donald Trump s’aligne aujourd’hui sur ses positions contre l’Europe. Certains se demandent s’il n’est pas un agent du Kremlin. En tous les cas, il l’imite bien.
Les Etats-Unis, dont nous avons toléré les frasques depuis plus d’un siècle [6], parce qu’ils nous avaient aidés à vaincre les dictatures les plus dangereuses et participaient à notre défense, ont pris le parti de notre ennemi le plus dangereux.
Ce que D. Trump et ses complices à tendance fasciste décident pour les Etats-Unis ne concerne que leurs électeurs, s’ils leur laissent la parole [7]. Par contre, ce qu’ils provoquent dans le reste du monde, et plus particulièrement en Europe, nous concerne.
Nous ne pouvons donc plus les considérer comme alliés, s’ils ne sont pas déjà ennemis.
Devant ce cataclysme, l’Europe, que 11 ans de guerre en Ukraine ou les manœuvres chinoises n’avaient pas totalement réveillée, est frappée de sidération : que faire ?
Dans toute harde, tribu, groupe ou nation, l’attaque d’un ennemi suscite un sursaut d’unité, espérons qu’il en sera ainsi en France, en Europe et dans l’ensemble des nations menacées par D. Trump.
Heureusement, ou malheureusement, dans nos démocraties occidentales, c’est l’opinion publique [8] qui fait la politique, pas l’inverse. Il est temps qu’elle se réveille.
En premier lieu, chacun doit se demander s’il vivrait mieux en Russie, en Chine ou aux Etats-Unis ou bien si le modèle européen, avec toutes ses faiblesses et ses lenteurs, n’est pas le plus agréable pour la majorité de ses peuples. Il appartient donc, à chacun de nous, de prendre pleine conscience de l’extrême gravité du moment, d’en tirer les conséquences pratiques sur ses priorités, de partager cette conscience avec son entourage, de contribuer donc à une opinion publique qui hiérarchise les problèmes et donne mandat au pouvoir d’agir. Il appartient également à chaque citoyen d’orienter clairement ses achats de biens, de services, de logiciels et ses loisirs vers des pays partenaires [9], et évidemment, dès maintenant de boycotter tous les produits et services importés des USA (en nuançant pour les produits américains fabriqués en France s’il n’existe pas d’équivalent purement français). N’oublions pas, dans ce boycott les voyages aux USA ou l’utilisation de compagnies de croisières, de voyages ou de transport américaines.
Au niveau des gouvernements, la priorité absolue doit être l’unité de l’Europe, économique, industrielle, financière et militaire, avec des processus de décisions rapides (donc débarrassés de règles d’unanimité paralysantes [10] dans les domaines qui le nécessitent) et une suppression des innombrables doubles emplois qui nous fragilisent. Ce pourrait être assez rapide si les opinions publiques effrayées par la situation le permettaient.
Sans être exhaustif, quelques autres actions semblent indispensables, par délai de mise en œuvre croissant :
- Rechercher, au plus vite, des accords et des alliances avec les autres pays menacés, proches de nos valeurs [11]. Chercher avec eux, quand c’est possible, des produits de substitution aux produits américains (y compris culturels)
- Dépenser plus en recherche sur les technologies d’avenir et rendre efficaces, à coût proche, les industries d’armement européennes en évitant les multiples duplications [12]
- Répondre à chaque mesure américaine hostile par une mesure équivalente, sans les devancer ou les provoquer
- Rassembler et unir nos forces économiques pour augmenter notre autonomie et constituer un contrepoids crédible
- Construire, au niveau d’industries coordonnées et des armées, une force militaire européenne homogène, souveraine, crédible, indépendante des matériels américains [13].
S’il n’est pas un imbécile, comme certains le croient, D. Trump est un salaud capricieux mais pragmatique sorte de Mussolini qui se prendrait pour John Wayne, entouré d’oligarques cupides et tout aussi pragmatiques. Une réaction très ferme de l’Europe pourrait l’amener à réfléchir, et peut-être à comprendre qu’un pacte faustien avec V. Poutine n’est pas dans l’intérêt des USA. Si nous sommes assez unis et fermes, et si D. Trump ne supprime pas les élections prévues, les américains auront eu le temps de réfléchir avant les mid terms de 2026 et de comprendre que la vraie politique de leur président n’est pas MAGA mais MARA (Make America Ridiculous again). On pourra, à ce propos, rappeler les tentatives identiques du Président Roosevelt contre De Gaulle…qui n’a jamais lâché. Un signe d’espoir pour le Président Zelenski[14].
Nous, européens, avons les moyens, économiques, financiers et intellectuels d’assurer l’avenir de nos enfants dans un contexte aussi troublé. Nous avons juste besoin de confiance mutuelle, de lucidité et de détermination. Oublions un instants les problèmes secondaires. Le défi est existentiel, il exige toute notre énergie, et sans doute quelques sacrifices.
&&&&&&&&&&&&&
[1] Ce pacte signé par les deux ministres Ribbentrop et Molotov, en présence de Staline, prévoyait explicitement la neutralité de chacun en cas de conflit de l’autre avec les puissances occidentales. Mais plus encore ce pacte comprenait des clauses secrètes prévoyant le partage de la Pologne et l’invasion par l’URSS de la Finlande, des Pays Baltes, et de la Bessarabie (Moldavie). Le pacte prévoyait également l’obtention par l’Allemagne de la bienveillance du Japon face à l’URSS. L’URSS annexa alors 201 000 km2 du territoire polonais dont l’essentiel sera conservé après la guerre.
[2] Ce point est essentiel pour D. Trump et ses affidés, car ils veulent pouvoir amplifier leurs opérations de désinformation grâce à la puissance de leurs outils de manipulation sans être gênés par quelque modération que ce soit.
[3] D’innombrables pays pourraient demander aussi des indemnisations pour les dégâts faits par la finance ou les armes américaines.
[4] Il est évident pour tous qu’une Russie débarrassée de l’Ukraine et ne craignant pas les Etats-Unis n’hésitera pas longtemps avant d’attaquer les Pays Baltes que nous sommes aujourd’hui moralement et militairement incapables de défendre.
[5] Une guerre en Ukraine dont le bilan total (russes et ukrainiens) voisine le million de morts dont personne ne parle, à comparer avec les 50 ou 60 000 morts de Palestine dont on parle plus.
[6] Sans remonter au XXe s, on peut noter les immenses crises de 1929 et de 2008 causées par leur cupidité sans fin, leur obstruction à toute mesure d’équilibre fiscal et leur défense acharnée des paradis fiscaux, la pagaille causée par leur intervention en Irak en 2003….
[7] La contestation par D. Trump d’élections qu’il avait lui-même organisées augure mal de l’avenir.
[8] Avec tous les problèmes que posent la guerre hybride, les manipulations, l’immédiateté. C’est sans doute pour faire sauter les règlementations européennes limitant le pouvoir de manipulation de ses GAFA que J. D. Vance a fustigé le manque de liberté des européens.
[9] C’est moins massif que des sanctions ou des droits de douane, mais le risque de provoquer des contremesures est beaucoup plus faible.
[10] Qui, appliquées en Pologne au XVIIIe sous le nom de liberum voto avaient permis aux grands voisins de corrompre un ou deux nobles chacun et aboutirent, in fine, à la disparition totale de la Pologne, démantelée par ses grands voisins à la fin du XVIIIe s.
[11] Ceci ne peut évidemment pas comprendre la Chine, sauf de manière très transitoire.
[12] Cela devrait très rapidement largement suffire à assurer notre sécurité collective sans trop forte augmentation des budgets, le budget de défense des 27 étant d’environ 320 milliards de dollars contre environ 120 pour la Russie.
[13] 80% des budgets d’achat de matériel de défense en Europe sont affectés à des constructeurs hors Europe (63% pour les seuls USA). Le plan récemment présenté par la commission européenne ambitionne de ramener cette part à 50% en 2030 et 40% en 2035. La restriction des financements bancaires des industries d’armement devrait être très rapidement levée.
[14] Parmi de trop nombreux exemples, on pourra repenser aux menaces lorsque la France libre a repris possession de St Pierre et Miquelon, à la tentative d’imposer Darlan, puis Giraud en 1942, à la tentative de mettre en place l’AMGOT (gouvernement militaire américain) en juin 1944 en France, au choix délibéré de Roosevelt de laisser l’Europe de l’Est aux mains de Staline. Plus récemment on pourra penser aux menaces du président Bush envers la France qui refusait en 2003 l’invasion de l’Irak.