Il est des peuples dont le malheur ne doit rien à quelques circonstances naturelles, mais plutôt à la barbarie de quelques hommes et au soutien de fortes dictatures. C’est le cas de la Birmanie.
Une succession de circonstances nous a conduits à y passer quelques jours fin 2019. Si vous n’avez pas eu la chance d’y aller avant le coup d’état qui a refermé le pays, vous trouverez sur le lien suivant, un petit reportage photo sur ce que nous avons perçu d’un pays aussi dur que magnifique.
Si vous n’en connaissez guère que le prix Nobel de « La Dame », le drame des Rohingyas et plus récemment le coup d’état des généraux, voici un rapide résumé de sa triste histoire.
Petit rappel d’histoire
Le nom de Birmanie fait référence à l’ethnie majoritaire (les birmans) alors que le nom de Myanmar (premiers habitants du monde) apparu en 1989 et confirmé en 2010 est plutôt un nom tentant de fédérer les multiples ethnies du pays.
D’une surface très voisine de la France, la Birmanie est un pays tout en longueur avec une grande plaine centrale entourée de collines et de montagnes. Elle partage notamment 2185 km de frontières avec la Chine, 1800 avec la Thaïlande et 1463 avec l’Inde, 237 avec le Laos et 137 avec le Bangladesh.
La Birmanie comprend 7 régions formant la plaine de Birmanie à proprement parler et 7 états plus montagneux correspondant aux autres groupes ethniques.
Les birmans, arrivés au IXe siècle, fondent un empire autour de Bagan au XIe siècle, empire détruit par les Mongols à la fin du XIIIe s. Un 2e empire gouverne la Birmanie du XVe au milieu du XVIIIe s, confronté à diverses interventions des portugais, des français et des chinois. Un 3e empire lui succède immédiatement qui établira le périmètre actuel de la Birmanie mais sera vaincu par les britanniques au bout de 3 guerres (1824-1826, 1852 puis finalement 1885) et annexé à l’empire des Indes en 1886 avant de devenir une colonie séparée en 1937.
Dès 1930, un mouvement nationaliste, le Thakin, cherche à briser la domination britannique, ce qui le conduira à un rapprochement et une collaboration avec les japonais[1] après leur invasion de la Birmanie. Quelques officiers, dont Aung San leur chef, U Nu et Ne Win sont entrainés militairement par les japonais. Ce groupe, déçu par les promesses non tenues des japonais, négocie avec les britanniques dès 1943 et s’y rallie en 1945 pour combattre les japonais.
Après quelques hésitations, les britanniques décident de négocier l’indépendance avec Aung San et signent un accord d’indépendance avec lui en janvier 1947. Le 12 février 1947 à Panglong[2], un accord est signé entre Aung San et les représentants de plusieurs minorités créant ainsi une Union de Birmanie. Des élections ont lieu en 1947 qui consacrent la victoire du parti d’Aung San. Mais le 19 juillet 1947 Aung San est assassiné avec 6 de ses ministres[3]. U Nu, son second, devient premier ministre. Pour la compréhension de la suite, il est utile de noter que Aung San est le père de Aung San Suu Kyi, dite « la Dame », prix Nobel de la paix en 1991. L’indépendance formelle de la Grande Bretagne est acquise en 1948.
U Nu conduit de 1948 à 1962 un régime démocratique avec la Ligue Antifasciste pour la Liberté du Peuple, tout en faisant face à une rébellion de communistes et de quelques minorités ethniques. L’instabilité et les difficultés économiques s’accentuant, U Nu concède le pouvoir au général Ne Win (fin 58 – février 60). À partir de 1960 U Nu reprend le pouvoir mais sans parvenir à contrôler les minorités des collines ni redresser l’économie.
Le 2 mars 1962, le Général Ne Win prend le pouvoir par un coup d’état assez pacifique et un relatif soutien initial de la population. Il met en place un régime totalitaire à parti unique, nationaliste, marxiste[4] et bouddhiste, dirigé par le Conseil Révolutionnaire de l’Union, voulant favoriser la culture birmane et les paysans aux dépens de l’industrie, appuyé sur l’armée et luttant contre toutes les ethnies minoritaires[5], régime dont il gardera le contrôle sous différents titres jusqu’en 2010. La politique menée se révèle catastrophique : politique économique d’autarcie et de nationalisation, expulsion des étrangers, recentrage sur la langue birmane aux dépens de l’anglais, autocratie, autoritarisme et disparition des contrepouvoirs. D’innombrables anecdotes, très populaires, raillent encore aujourd’hui les errements et caprices de ce régime. De très nombreuses révoltes éclatent, réprimées dans le sang, dont la dernière en 1988 fait près de 3000 victimes.
Ne Win démissionne en 1988 (mais reste en coulisses jusqu’en 2010) suite à un coup d’état de Saw Maung qui est remplacé (raisons de santé ?) par Than Shwe en 1992. Le Conseil d’État pour la restauration de la loi et de l’ordre est renommé rapidement Conseil d’État pour la Paix et le Développement et tente une première libéralisation. Des élections organisées en 1990 sont remportées (82% des sièges) par la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD) d’Aung San Suu Kyi (la fille de Aung San), mais le résultat est réfuté par l’armée (Tatmadaw) qui conserve le pouvoir. Une première ouverture du pays au tourisme est entamée, plus volontariste à partir de 1993, dont la manne est utilisée par le pouvoir pour récompenser les groupes les plus dociles.
En 1991 le prix Nobel de la Paix est attribué à Aung San Suu Kyi (« la Dame », assignée à résidence) qui ne le recevra qu’en 2012.
En 2011 le général Thein Sein qui était 1er ministre depuis 4 ans est élu président de la république[6] et entame un réel processus de libéralisation mais en préservant la main mise économique de l’armée.
En 2016 Htin Kyaw, l’un des proches conseillers de « La Dame » est élu président de la république, remplacé en 2018 pour raisons de santé par Win Myint un autre proche de « La Dame » qui gouverne de fait à partir de 2016[7] mais avec les ministères de l’armée, de l’intérieur et des frontières aux mains de l’armée. Plusieurs guérillas signent des accords de paix avec le gouvernement mais la crise des Rohingyas écorne la réputation naissante de la Birmanie et de ses dirigeants. La population approuve cependant largement l’évolution du pays. En 2020 la ligue de Aung San Suu Kyi tente de réduire le pouvoir de l’armée et remporte très largement les élections. Mais le 1er février 2021 la junte qui craint de perdre le pouvoir et surtout ses privilèges commet un coup d’état avec Myint Swe comme président intérimaire. La Chine utilise son véto pour bloquer une motion de l’ONU condamnant ce coup d’état et la Russie apporte soutien constant et livraisons d’armes de répression. Le peuple tente de se soulever mais la répression est féroce et le pays replonge dans la dictature. Une dictature qui ruine pour longtemps le pays et son importante industrie touristique.
Pauvres birmans.
Notes :
– les transcriptions en caractères latins sont extrêmement variables d’une source à l’autre et nous nous sommes efforcés de retenir les plus utilisées
– les commentaires des photos sont faits dans le contexte de 2019. Certains d’entre eux doivent être réinterprétés dans le contexte de l’après-coup d’état
– Les lumières de Birmanie sont extrêmement vives et nécessitent pour être approchées que les photos soient prises très tôt le matin (6h à 9h en général)
Pour compléter ce rapide résumé
https://www.gavroche-thailande.com/birmanie-france-lambassadeur-christian-lechervy-dresse-le-portrait-du-pays-dans-la-revue-asie-reportages/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Birmanie
[1] Alliés des allemands
[2] Le 12 janvier est toujours célébré comme le « jour de l’Union », mais il convient de préciser que toutes les minorités n’étaient pas représentées à cet accord
[3] On a attribué cet assassinat à l’ancien premier ministre (1940-1942) U saw qui fut pendu pour cela. Mais il y eut d’autres théories plus ou moins conspirationnistes impliquant des subalternes anglais.
[4] Par opposition au communisme, dénomination visant à éviter une incursion trop brutale du voisin chinois.
[5] En 1982 il instaurera une loi sur la nationalité demandant aux rohingyas de prouver qu’ils étaient présents en Birmanie avant 1886, loi qui conduira évidemment à supprimer la citoyenneté des rohingyas qui deviennent alors apatrides. Les Rohingyas, vivant au Nord de la Birmanie, majoritairement musulmans, ayant été supplétifs des anglais au début du XIXe s, puis employés agricoles des anglais ensuite, soutinrent pour la plupart les britanniques durant la 2e guerre mondiale alors que nombre de bouddhistes soutenaient les japonais. Ils sont depuis longtemps, l’objet d’une forte discrimination de la part des bouddhistes.
[6] A l’issue d’élections douteuses
[7] Une constitution faite sur mesure interdit à unhe personne mariée à un étranger d’être président de la République